Souvenez-vous. C’était hier. Les années 90 (je venais d’avoir 18 ans) s’ouvraient, vibrantes, palpitantes, riches d’une Histoire qui se faisait devant nos yeux. Avec un symbole plein de promesses : la destruction du Mur qui séparait les deux Allemagne.
L’annonce, à coup sûr, d’une ère nouvelle. L’amorce d’un processus qui ne pouvait que se généraliser : ce mur battu en brèche n’était plus celui de Berlin, mais bien « le Mur » que s’appropriait le monde entier pour bâtir quelque chose de neuf, de libératoire.
Regardez. C’est aujourd’hui. La scène du monde est morcelée de partout. Les nationalismes s’affrontent. Les replis identitaires se font concurrence. Les communautés s’opposent. Celles qui vivaient ensemble ne se supportent plus. On se diabolise mutuellement pour ne pas avoir à s’écouter, se respecter, se valoriser, et éviter ainsi d’avoir à faire la moindre concession. Le protectionnisme est de rigueur. Chacun roule pour soi, ou pour son groupe, sa sphère d’influence. De partout, on bétonne pour protéger ses intérêts particuliers.
Un Mur détruit, pour combien d’autres
reconstruits ?
Serait-ce une image de nos douloureuses limitations intérieures : incapacité à voir et à vaincre le mal, à surmonter la peur de l’autre, à dépasser nos égoïsmes (et tous ces autres « -ismes » qui enferment) ?
Et cette multitude de murs, qui s’érigent désormais de partout, décrivent-ils notre nouvelle condition de vie en ce monde fracturé ? Un monde où l’ouverture à l’autre est reléguée comme folie d’autres temps moins éclairés que les nôtres ?
La tentation du découragement est réelle. Elle pourrait se faire tempête dévastatrice, si à l’horizon de notre monde ne s’était pas allumée une lumière : celle de Pâques. Lumière lointaine, certes, et donc ténue face aux murs épais qui sont élevés devant nos pas hésitants. Mais une lumière qui a troué, liquéfié, des murs parmi les plus opaques.
Son existence même est éloquente : Dieu a refusé de faire de son bonheur un cercle qui enferme, un vase clôt, mais a voulu que sa lumière, créatrice, rassurante, restructurante, brille – et de quelle manière ! – pour d’autres aussi. Quelque chose de la grâce généreuse qui s’offre sans compter.
Nous vivons du refus de ce « mur » autarcique ! Vaincus, aussi, les murs de notre indifférence et de notre rejet : troués par un amour confondant qui persévère au lieu de se décourager. Quel mouvement ! Le Seigneur de l’Univers s’identifie à nous : brisé, le mur de la supériorité qui maintient l’autre à distance ! Construit, le pont de la réconciliation !
Mais quelle force dans cette proximité ; c’est au coeur même des réalités qui bouchent notre horizon et tuent notre confiance et notre espérance, qu’il tracera pour nous un chemin s’ouvrant à la lumière. A travers la haine, l’abandon, la violence, l’angoisse, la solitude. La déchirure du péché dont il porte la condamnation. La répulsion du mal qu’il endosse par solidarité. Le silence du tombeau. Le temps qui s’arrête, alors que pour les autres, la vie continue…
Formidable percée ! Qui donne à cette lumière de Pâques toute sa densité.
Voilà le point fixe, ancré à l’horizon, qui nous fournit désormais une direction.
Voilà la source abondante, à portée de main, de coeur, dont nous pouvons nous abreuver.
Inestimable cadeau, à saisir pour nous recentrer jour après jour. Dans l’espérance. Mais aussi, et toujours, dans le refus de tout ce qui rabougrit, emprisonne, isole, sépare…
Philippe HENCHOZ